La Grande Evasion : web-radio de passionné

Derrière ce titre de renommée se cache bien sûr le charisme ravageur de Steve McQueen mais surtout le désir d’Hubert de faire revivre la musique de film. La web-radio que vous avez peut-être déjà entendue au cinéma Les Fauvettes (Paris 13e), au Gaumont d’Amiens ou tout simplement sur internet, a été lancée en 2014. Entre nouveautés, grands classiques, belles nostalgies et grande perplexité face à des choix de programmation étonnants, la Grande Evasion prône la démocratie culturelle comme on l’aime, et puis si vous n’êtes pas contents d’entendre du Brian Tyler (Avengers entre autres) après avoir savouré du Michel Legrand, tant pis pour vous !

Entretien réalisé en avril 2016.

Quand t’es-tu dit qu’il y avait un public pour la musique de film ?

C’est venu assez rapidement. C’est une idée que j’ai depuis longtemps parce que je suis passionné de musique de film. J’ai toujours cherché une radio de musique de film, et je n’en trouvais pas. L’idée m’est venue sur les bancs de l’école de journalisme, et c’est là que je me suis dit que je la pousserai jusqu’au bout un jour. Et je suis allé jusqu’au bout.

Quand j’ai eu l’idée de cette radio, je me suis dit que je ne devais pas être le seul type qui cherchait à écouter de la musique de film. Principalement, les gens qui m’écoutent aujourd’hui ce sont des gens sont au bureau, entre 8h et 18h. Donc je pense que ça permet de rester concentré tout en s’évadant un petit peu. Et en même temps c’est très éclectique, ça touche à tous les genres.

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Michel Legrand

Je dirais que la force de la radio c’est de proposer des nouveautés vraiment régulièrement, une fois tous les deux jours, sachant qu’il y a au moins six ou sept sorties par semaines. Il y a certaines choses que je ne mets pas, même si c’est toujours délicat, mais globalement j’ajoute presque tout ce qui sort, donc ça fait beaucoup de nouveautés.

Après c’est vrai qu’on a de la chance en France d’avoir un très grand vivier de compositeurs, tous très talentueux, depuis très longtemps. On a toujours eu une culture de la musique de film en France. Ça a commencé bien avant Maurice Jarre, mais il a été le premier oscarisé pour Lawrence d’Arabie en 1963. On a eu une vague de succès avec Maurice Jarre, Francis Lai, Michel Legrand, qui étaient compositeurs à l’international, mais il y a eu aussi Michel Magne, François de Roubaix, des compositeurs talentueux qui ont influencé  énormément d’artistes, même en dehors de la musique de film. François de Roubaix revient souvent parce que c’était un grand compositeur d’électro. La musique de film inspire beaucoup, en dehors du cinéma, on peut prendre l’exemple de Vangelis.

Nous sommes dans une ère de ressorties et de restaurations numériques, de diffusion massive sur internet, légale comme illégale, de création de salle consacrée aux ressorties. Est-ce que la Grande Evasion s’est créée avec cette mouvance ou cela aurait pu être fait en dehors de tout ça ?

Je n’essaye pas de surfer sur le old school non plus. Je propose de tout en ayant conscience qu’on a un riche patrimoine. Et comme tu as vu le site est assez visuel donc ce n’est pas facile de mettre tout ce que je voudrais parce qu’il y a plein de vieux films pour lesquels je ne trouve pas de bonne image. Et il y a surtout une période un peu bâtarde entre la fin des années 80 et les années 90 où les visuels sont souvent de très mauvaise qualité, même pour les films très connus. Je ne sais pas pourquoi. Souvent les très vieux films sont restaurés donc on retrouve les images en bonne qualité, mais à cette époque-là c’est une sorte d’entre-deux où ce n’est pas évident de trouver de bonnes images. Donc je fouille. Pour les sorties récentes ce n’est pas très compliqué parce qu’avec les dossiers de presse, tu as tout à disposition, mais parfois il faut passer un peu plus de temps pour trouver ce qu’on veut.

A part quelques noms populaires portés par des succès commerciaux hollywoodiens (Hanz Zimmer par exemple), la nouvelle génération de grand public semble mal connaître le milieu des compositeurs de musique de film. L’empreinte laissée par des gens comme John Williams demeure, mais les Georges Delerue, Jerry Goldsmith et Michel Legrand deviennent anonymes aux yeux des jeunes. On peut cependant espérer que la Grande Evasion relance une dynamique de la curiosité… ?

Oui bien sûr, mais je pense qu’on n’est pas obligé de tout connaître. Les passionnés de musique de films vont connaître Michel Magne. Mais ceux qui s’y intéressent simplement ne vont pas forcément connaître le nom et le personnage, mais ils vont connaître les mélodies. Tout le monde a entendu la musique de Fantômas, celle d’Un Singe en hiver,… Ça fait partie des films populaires français qu’on a à peu près tous vus, comme Les Tontons flingueurs ! Les gens connaissent les films, connaissent les musiques, mais ne savent pas forcément qui les a composées. L’intérêt effectivement c’est de remettre en lumière les compositeurs.

A côté de la radio, je réalise aussi des émissions. Il y en a eu une sur Claude Bolling qui est un pianiste de jazz mais aussi très grand compositeur. Ce qui m’intéresse également c’est de mettre en valeur les jeunes compositeurs qui arrivent sur la scène. C’est un métier dans lequel beaucoup de jeunes se lancent parce que dans la musique, notamment pour ceux qui ont fait le Conservatoire et qui veulent faire une carrière dans la composition classique, il y a très peu de places, et un public de plus en plus restreint. Alors que la publicité, la musique de film, ou le jeu vidéo, sont des médias qui explosent et qui demandent beaucoup de jeunes compositeurs. Donc il y a beaucoup de personnes à découvrir et à interviewer.

Le-Casse-Peur-Sur-La-Ville-coverComment se construit la programmation de La Grande Evasion, entre tes petites perles personnelles, les nouveautés ou les anciens films ?

Quand on se connecte sur la radio, sur six morceaux, il y aura une nouveauté, un morceau qui a entre un et quatre mois, un morceau vocal donc une chanson originale ou préexistante, un grand classique (ça peut être un Bernard Herrmann pour un Hitchcock ou un Hans Zimmer pour Gladiator), un coup de cœur (donc là c’est un morceau que j’aime bien ou que j’ai envie de mettre en avant), et enfin il y a une composition française. Souvent ce sont des films réalisés par des français et dans 90% des cas ça sera des compositeurs français. On peut avoir aussi un film comme Peur sur la ville d’Henri Verneuil, dont la musique est composée par Ennio Morricone.

Techniquement, comment fonctionne la diffusion de musique de film ? J’imagine que des droits sont à payer pour les anciennes compositions. Est-ce qu’au contraire il s’agit de promotion pour les block-busters récents de la part des productions ?

On paye des redevances à la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, NDLR). Il y a aussi d’autres organismes. Sinon je reçois pas mal d’albums par des maisons de disques, qui m’envoient leurs nouveautés par digital ou physiquement, et je travaille avec certains labels et une agence américaine qui m’envoie énormément de nouveautés. Ça permet d’avoir des films qui ne sont pas encore sortis en France. Je cherche toujours à être au plus près de ce qui sort, donc quand je sais que je vais recevoir l’album, il m’arrive aussi d’acheter quelques morceaux en avance.

Dans la musique de film, il y a tous les genres, ce qui permet d’attirer tout le monde. Penses-tu que la réciproque fonctionne aussi ? Est-ce que quelqu’un peut apprendre à apprécier ou connaître le classique, le jazz ou l’électro grâce à la musique de film ?

Ça, c’est certain ! Pour la musique de film symphonique en tout cas, comme John Williams (qui a été pour moi la grande porte d’entrée, comme pour beaucoup d’autres passionnés je pense), le cinéma est une grande initiation à la musique classique. Ce n’est pas le seul horizon mais je pense que ça fait partie des choses nécessaires pour que le classique survive. La musique classique reste très élitiste dans sa diffusion. Ce que fait John Williams pour ses films c’est aussi ressasser du Wagner et d’autres grands compositeurs auxquels les gens n’auraient pas eu accès d’une autre façon. Et le biais de l’image et du cinéma permet aux personnes d’imprimer des thèmes et d’apprécier un type de musique qu’ils n’entendraient peut-être pas ailleurs.

Pour le rock de nos jours c’est peut-être moins le cas. Pour l’électro, pour le jazz, ça peut être une façon de découvrir toutes ces musiques qui sont un peu de niche. Ça arrive de plus en plus souvent que des artistes électro par exemple fassent un ou deux films. Je pense que le rapport à l’image est super intéressant aussi pour les musiciens.

Une fois rendus curieux, les auditeurs peuvent aussi découvrir plus en profondeur ce monde de la composition de musique de film grâce aux articles et aux trois émissions « Au micro », la carte blanche et « Mélodie en sous-sol ». Tu peux nous en dire plus ?

Alors la Carte blanche ce n’est pas une émission de la Grande Evasion. C’est une émission de Benoit Basirico, qui est le fondateur du site Cinezik.org. Il fait tous les mois une émission sur Aligre FM et je l’héberge sur la radio. L’intérêt de ces émissions, c’est d’en faire autant que possible avec des compositeurs, des orchestrateurs, des réalisateurs, des professeurs, des gens qui tournent autour de la musique de film qui peuvent apporter les clés que moi je ne peux pas donner. Je suis passionné et journaliste, mais je ne suis pas érudit, je ne suis pas musicologue non plus. Mais j’apprends de ma passion.

Quels  projets as-tu pour la Grande Evasion ?

Le rêve d’une radio FM ! Mais en attendant, un partenariat avec un magazine de ciné, ça peut être une piste à envisager. Mais c’est vrai que la webradio c’est génial parce que c’est très libre, et ça se propage. De plus, il y a certains auditeurs qui préfèrent la musique, d’autres qui préfèrent les émissions, donc la webradio ça arrange tout le monde ! Je pense que la webradio a vraiment de l’avenir.

 Et avec tout ça, tu as le temps d’aller au cinéma ?

J’y vais deux fois par semaine ! Donc oui ! J’essaye de garder le rythme ! C’est important, je n’ai pas vraiment le choix, notamment quand j’interviewe les compositeurs, il faut que j’aille voir le film, le rapport à l’image est essentiel.

Ton coup de cœur du moment en musique de film ?

Alors… C’est pour The Assassin (Hou Hsiao-hsien, 2016). La séance a été un peu compliquée, mais le dernier morceau, pendant le générique, m’a donné une pêche incroyable. Ce sont des bretons, Men ha Tan ! C’était un mélange entre un style asiatique et breton. Il y a eu aussi Gods of Egypt (rire) ! Je n’ai pas vu le film, mais la musique est absolument géniale. Je pense que le film doit pâtir d’une mauvaise presse…

Heu… non, ne t’en fais pas, il n’y a pas que la presse qui est mauvaise !

(Rire !) Mais la musique c’est Marco Beltrami qui l’a faite, elle est vraiment super. C’est un grand compositeur Beltrami, 3h10 pour Yuma, The Homesman (avec les cordes du piano enregistrées à l’extérieur dans le vent !).

Marco Beltrami The Homesman
Marco Beltrami enregistrant la musique de The Homesman, 2014.

Mais ça c’est aussi un défi, voire même c’est un peu dérangeant. Si les gens s’attardent sur le visuel de Gods of Egypt, surtout s’ils sont vu la bande-annonce, ils ne vont pas vouloir écouter le bande musicale. C’est souvent paradoxal, il arrive qu’il y ait de très mauvais films avec une super musique ! Il est possible que certaines personnes se déconnectent, mais bon c’est aussi un pari ! C’est le pari de l’éclectisme. Parfois on peut tomber sur du Britney Spears, mais pour Springbreakers. Si tu n’as pas vu le film et que tu vois une nana en maillot fluo avec une musique de Britney Spears, il est possible que te remettes en question la radio… Mais à côté, pour qui a vu le film, ça a une vraie signification. Il y a un côté très clipesque et très fun avec James Franco qui joue au piano devant le soleil couchant. Ça vaut le coup de le mettre en valeur mais je sais que c’est à mes risques et périls. C’est comme ça !

 Bryan Tyler aussi risque d’en faire déconnecter quelques auditeurs, non ?

 (Rire !) Ça c’est un grand mystère Bryan Tyler. Moi je ne supporte pas le type, ce qu’il dégage. C’est un personnage. Souvent les compositeurs ont cette image de solitaires en dehors du monde, ou des geeks de la musique. Lui c’est tout le contraire : on lui donnerait la trentaine, on dirait un mec de la téléréalité, avec plein de gel, qui passe son temps à prendre des selfies. Il est complètement atypique. C’est compositions sont un peu spéciales aussi. Comment dire ? Ce n’est pas très fin ! Ce n’est pas ce que j’écouterais tout le temps, mais de temps en temps c’est sympa. C’est comme le gars de Junkie XL, Tom Holkenborg, qui a fait Mad Max : Fury Road, ou le dernier Batman v Superman, c’est du lourd. Les mecs n’arrivent pas en finesse. Mais de temps en temps ça décape !

 C’était quand même mieux dans Mad Max que dans Batman v Superman

C’est différent ! Je n’ai pas été super fan du dernier Batman, mais il y a deux-trois morceaux intéressants. A un moment, quand Lex Luthor arrive, il y a quelques notes au piano qui sont très basses et très prenantes. Et ces trois-quatre notes sont exactement tirées d’un vieux morceau de Bruno Coulais. C’est un grand compositeur français, qui a dernièrement travaillé sur Les Saisons de Jacques Perrin. Son plus grand succès, mais il paraît qu’il n’aime en parler, c’est Les Choristes. C’est lui qui avait composé la musique du Comte de Monte Cristo, la série de TF1 avec Gérard Depardieu. Et les notes d’intro de cette composition sont exactement celles du Batman. Je ne sais pas comment elles ont atterri là, ça me paraît hallucinant. Mais c’est intéressant.

Il ne faut pas cracher dans la soupe. C’est comme au cinéma en général au final, il faut être capable de faire le grand écart et de pouvoir aller d’un film ultra populaire à un film plus intimiste, c’est un monde d’expérience, il faut le vivre et goûter un peu à tout. Et parfois on est très surpris de trouver des choses auxquelles on ne s’attendait pas. Par exemple les Marvel je trouve ça nul au possible, et Les Gardiens de la Galaxie j’ai pris un pied énorme à regarder ça et à écouter la bande son. Je pense qu’il faut être capable de goûter à tout.

 Et ton film favori dans tout ça ?

john barry

C’est dur. J’ai des madeleines de Proust, des films très affectifs. Je pense à la saga James Bond ! Ce sont vraiment les films dans lesquels j’ai baigné toute ma jeunesse. En cassette le dimanche soir, avec la musique de John Barry que je trouve être le compositeur le plus classe au monde, qui a fait Danse avec les Loups, Out of Africa,… C’est un compositeur qui est collé à son sujet et à la classe d’origine de Sean Connery (et pas au gros rustre Daniel Craig). Et les films de ce compositeur ont une orchestration tellement riche, c’est fin, c’est beau… Bref, c’est la classe !

Après, ce n’est pas pour la musique, mais j’aime beaucoup Truffaut. Les Antoine Doinel (Personnage de plusieurs films de Truffaut : Les Quatre Cents Coups (1959), Antoine et Colette (1962), Baisers volés (1968), Domicile conjugal (1970) et L’Amour en fuite (1979) NDLR) c’est un truc qui me parle vachement. Je me sens très proche du personnage. Antoine et Collette c’est un film assez marrant. Il y a Jean-Pierre Léaud que je trouve très touchant. Ces films je les trouve très proches des films de Klapisch. Je trouve que les Truffaut ont le pouvoir de te toucher peu importe l’époque où tu les regardes, peu importe l’âge que tu as. C’est trente ou quarante ans avant moi et pourtant je me retrouve complètement dans ce personnage, ses questionnements, son cheminement. C’est la force d’un film, de pouvoir te toucher peu importe le temps qui passe.

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Vous pouvez retrouver La Grande Evasion sur Facebook, sur Twitter, dans une émission du Festival des Bons Films, et bien sûr sur http://www.lagrandeevasion.fr/

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